L’entreprise, la famille et la propriété évoluent à des rythmes différents

Je suis un fervent adepte du modèle des trois cercles depuis que je l’ai découvert, il y a environ dix ans, moment où j’ai presque tout de suite commencé à écrire à ce sujet. Voir Trois cercles + sept secteurs = une révélation (en anglais).

Il demeure le moyen le plus simple d’aborder d’emblée un grand nombre de questions auxquelles les familles en affaires font face, d’une façon que tout le monde comprend bien.

Le modèle de Tagiuri et Davis existe depuis plus de 40 ans. Beaucoup l’ont commenté, ont essayé de le modifier, ont ajouté ou changé la taille des cercles, les ont transformés en sphères, etc.

Cependant, j’ai vu très peu de commentaires sur la temporalité qui définit chacun de ces trois domaines.

Remédions à cela tout de suite!


La métaphore de l’horloge analogique classique

La plupart des articles que j’écris, dont celui-ci, sont inspirés d’une manière ou d’une autre de discussions de groupe auxquelles je participe sur Zoom.

Cette fois, quelques personnes représentant des entreprises familiales locales se sont réunies dans l’Espace ORIA pour explorer l’idée d’organiser un événement d’ici un an qui célèbre les familles en affaires.

Parmi les participants figuraient des personnes d’une université locale (HEC Montréal), des praticiens qui travaillent auprès de familles en affaires (comme moi) et quelques dirigeants d’entreprises familiales plutôt chouettes, que j’ai été ravi de rencontrer.

La discussion, somme toute constructive, a pris plusieurs tournures. Bien que je n’y aie pas assisté dans l’optique de trouver un sujet de blogue, lorsqu’un universitaire a mentionné le modèle des trois cercles, j’ai dressé l’oreille, car je ne m’attendais pas à ce qu’on en parle dans ce contexte.

Puis, il a présenté une analogie avec une horloge et les aiguilles représentant les secondes, les minutes et les heures.

Wow!


Souvenirs, confusion et empressement

Quelqu’un lui avait fait remarquer qu’on pouvait représenter les trois cercles par les aiguilles d’une horloge traditionnelle.

Je suis presque sûr que j’ai arrêté d’écouter à ce moment-là parce que le bouillonnement de mes idées avait pris le dessus.

Je ne sais pas exactement quelle aiguille représentait quel cercle selon lui. Je ne suis donc pas certain de partager le même point de vue, mais voici ce qui m’inspire en ce moment.

J’avais écrit sur la propriété dans lequel j’avançais qu’il s’agit du cercle le plus stable; il devrait donc, à mon avis, correspondre à l’aiguille des heures. Voir Le syndrome de la propriété encombrante dans les entreprises familiales (en anglais).

Qu’en est-il des secondes et des minutes?

Alors, qu’en est-il de l’aiguille des secondes et des minutes qu’il faut associer à la famille ou à l’entreprise?

Eh bien, le plus souvent, j’aurais tendance à dire que l’entreprise fonctionne à un rythme accéléré, surtout lorsqu’il s’agit d’une entreprise en activité comptant de nombreux employés qui travaillent possiblement de nombreuses heures quotidiennement, peut-être même nuit et jour.

Je dirais que le cercle de la famille correspondrait plus à l’aiguille des minutes, car les choses y évoluent à un rythme plus rapide qu’en matière de propriété, sans toutefois que des changements notables surviennent fréquemment.

Par exemple, vous pourriez mettre à jour un génogramme familial une fois par année en modifiant l’âge des membres sans être loin du compte.


Attention, concentration et intention

Vous vous demandez peut-être de quoi il en retourne, et si vous souhaitez encore le découvrir (en supposant que votre attention n’a pas flanché!), voici mes réflexions sur la pertinence de tout cela.

Très souvent, les membres de la famille qui travaillent dans l’entreprise y accordent trop d’attention, au détriment de leur famille.

Ils suivent l’aiguille des secondes parce qu’elle bouge rapidement; pendant que l’entreprise a fait cinq fois le tour de l’horloge, l’aiguille des minutes n’a pratiquement pas bougé et passe facilement inaperçue.

Maintenant, transposez cette métaphore à la propriété, et vous pourrez à peine remarquer ses changements.

Sauf qu’un jour…

Ne laissez pas les secondes vous distraire de l’horloge

Il peut être très tentant de prêter attention au cercle de l’entreprise qui évolue rapidement et d’oublier que les minutes et les heures continuent aussi d’avancer à leur propre rythme, plus lent.

Les autres cercles, surtout le cercle familial, nécessitent aussi qu’on y dirige son attention, sa concentration et son intention.

Ne vous laissez pas distraire par l’aiguille des secondes.

Je n’ai pas l’habitude de citer des proverbes africains, mais chaque fois que je tombe sur quelque chose qui me fait réfléchir, vous savez que ce sera bientôt un de mes sujets d’article.

Je ne sais pas où ni quand j’ai entendu ce proverbe pour la première fois. Peu importe; l’essentiel, c’est qu’il vaut la peine qu’on y réfléchisse et qu’on le partage. Comme d’habitude, j’ajouterai mon grain de sel quant aux aspects de l’entrepreneuriat familial qu’il vaut la peine de garder à l’esprit, selon moi.

Voici donc le proverbe :

Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin.

Ce qui me saute aux yeux, c’est qu’avant d’«aller» quelque part, il faut réfléchir à ses priorités afin de bien planifier le «voyage».

Les entreprises familiales, presque par définition, progressent «ensemble» et «loin», et pas tellement «vite» et «seules».

C’est ici que les choses deviennent intéressantes. Beaucoup d’entreprises prospères, si ce n’est la plupart, ont été lancées par une seule personne motivée, travaillante et énergique. Sa détermination a été essentielle à la création d’une entreprise capable ensuite de rassembler d’autres joueurs, incluant souvent de nombreux membres de la famille.

Au fil du temps, bien sûr, le fondateur vieillit et il faut prévoir le transfert de l’entreprise à la génération suivante.

Non seulement les compétences requises pour poursuivre les activités de l’entreprise diffèrent beaucoup de celles nécessaires pour la créer, mais les changements technologiques qui surviennent au cours des décennies obligent souvent l’entreprise à se redéfinir pour assurer son avenir.

Si ce fondateur a la chance de n’avoir qu’un seul enfant ET que cet enfant possède exactement les qualités nécessaires pour maintenir l’entreprise dans une position favorable le temps d’une autre génération, c’est génial. Mais est-ce vraiment réaliste?

Le plus souvent, il n’y a pas un enfant, mais plusieurs. Même s’ils ont tous de précieuses compétences pour contribuer au succès de l’entreprise, quelle est la probabilité qu’ils s’entendent tous sur les mesures à prendre, la distribution des tâches et, le plus important, bien sûr, la prise de décisions?

Alors, nous y voilà. Nous avons peut-être établi le QUOI (nous souhaitons progresser ensemble) et le POURQUOI (nous avons décidé que nous voulons aller loin). Bon, en apparence, la plupart des gens s’entendent jusqu’à ce point. Mais c’est là que ça se complique.

COMMENT y arriver?

Comme toujours, tout se joue dans les détails. Et les détails du «comment» ont fait dérailler les plans de nombreuses familles bien intentionnées. Alors, que faisons-nous?

Retournons en Afrique, d’où vient notre proverbe. Si nous avions à planifier une longue randonnée en famille dans le désert ou la jungle, que devrions-nous faire avant de partir?

Juste pour le plaisir et un peu plus de réalisme, disons que les parents ne participent pas au voyage, il n’y a que les frères et sœurs. Ils doivent s’assurer de survivre en tant que groupe sans leurs parents, car comme vous le savez, les parents meurent généralement avant leurs enfants, n’est-ce pas?

Si ces frères et sœurs venaient me demander conseil avant leur voyage, je leur recommanderais de régler quelques points avant de partir. Parmi les questions les plus importantes figurent celles-ci :

  • Comment allons-nous prendre des décisions ensemble?
  • Comment allons-nous communiquer efficacement?
  • Comment allons-nous résoudre les problèmes ensemble?

Notez que le mot «ensemble» apparaît dans deux de ces questions, et est implicite dans l’autre.

Maintenant, maman et papa pourraient les faire asseoir et leur dicter les réponses, ce qui les aiderait peut-être — ou non.

Idéalement, la fratrie doit formuler ses propres réponses. Cela signifie-t-il que l’aîné imposera les siennes? Hum, non, c’est probablement aussi nuisible, voire pire, que de se faire dicter les réponses par ses parents.

Idéalement, le groupe doit travailler sur ces détails ensemble. Nous visons plutôt le codéveloppement et l’établissement d’un consensus en cours de route.

Les frères et sœurs peuvent-ils y arriver par eux-mêmes? Peut-être, mais probablement pas.

Pourquoi ne pas faire appel à un animateur extérieur compétent?

Excellente idée!

Voilà un moyen de voir ses chances de succès décuplées.